La performance de Jean-Charles de Castelbajac :
un créateur visionnaire, virtuose narrateur de la mode et des arts
Cette exposition est sensationnelle tant du point de vue du contenu, que de la scénographie réalisée par mesdames Marianne Klapish et Mitia Claisse. Le créateur s’adonne à une performance dans toute sa splendeur où sont dévoilées ses collections illustrant ses quarante années de création mais aussi ses passions, ses émotions, ses souvenirs tout en détournant et réinterprétant la mode contemporaine par le biais de symboles, d’icônes médiatiques, de textes, le tout, dans une tonalité qui le caractérise : l’humour.
Le créateur se livre en quelque sorte à un dévoilement plus que personnel face au spectateur. C’est son parti pris pour une mode plus évocatrice qu’esthétique, pour une scénographie moderne en accord avec la thématique de ses collections et le choix de celles-ci qui nous font penser que le créateur s’est complètement investi dans cette exposition hommage.
Dès l’entrée dans le Palais Galliera, la note est donnée. Des tapis, créations datant de 1987, sont présentés sous le péristyle.
En pénétrant dans le hall du musée, un premier panneau présente rapidement l’exposition. Puis, sur l’ouverture de la dernière salle, on aperçoit une imposante chaîne en or avec un logo représentant les insignes du créateur : une croix dont la verticale se dessine en « J » et une ligne horizontale qui se termine de part et d’autre en demi arcs de cercles pour symboliser le « C », avec une couronne sur le dessus de celle-ci. L’espace muséal suit le schéma architectural du Palais Galliera. Il se divise en quatre salles distinctes.
- Première salle
Elle se présente avec un cube géant avec de multiples lumières clignotantes. Rubik’s, œuvre commandée par Citroën a été créée par Jean-Charles de Castelbajac pour la FIAC de 2006. Le cube est installé au centre de la salle dont les murs ainsi que le plafond ont entièrement été recouverts de miroirs, renforçant ainsi les jeux et variations de lumière qui se répondent, se réfléchissent, s’éteignent et se rallument. La première salle installe le spectateur dans le monde coloré et sonore de Castelbajac, comme dans une discothèque.
- Seconde salle
Celle que les commissaires d’exposition : Madame Sylvie Lécallier et Monsieur Laurent Cotta qualifient de : Cabinet de curiosités. En effet, cette salle présente des pièces d’exception -collections particulières du créateur mais aussi réserves du Musée Galliera ainsi que d’autres musées- chargées d’histoire telles : un Ensemble de gilet et pantalon ayant appartenu à Louis-Charles de France (Dauphin de France, futur Louis XVII) mais encore une Armure de chevalier qui aurait appartenu à Jeanne d’arc et un Bonnet d’enfant brodé de motifs révolutionnaires, datant approximativement de 1790-1791. Tout est fait pour éveiller la curiosité du spectateur, l’amener à s’intéresser à l’histoire pour laquelle Jean-Charles de Castelbajac s’est toujours intéressé et susciter des émotions, des questionnements.
- Troisième salle
Ou « salle du trône » est recouverte de toile de Jouy rose fluo et noire sur tous les murs, au niveau des arcades en trompe-l’œil. Les collections de Castelbajac ont souvent un sens du discours très recherché ; discours souvent destiné à évoquer la domination de la société de consommation dans les arts, notamment avec des symboles publicitaires emblématiques tels que sur ses Robe Campbell’s Soup et Lucky Strike (Printemps-été 1984, réalisés pour le final du défilé « Hommage à Andy Warhol »), mais aussi la corrélation entre la mode et la culture. Chez Castelbajac, tout est lié. L’environnement contemporain a permis cette mixité entre tous les arts, ce qui a démocratisé l’art et engagé les artistes à s’exprimer librement. Les frontières n’existent plus. C’est ce que le créateur a aussi voulu illustrer à travers ses collections et cette scénographie symbolique gigantesque.
Ses collections de robes hommages et objets sont présentées comme des tableaux, sur un socle suivant une disposition linéaire de part et d’autre de l’espace, avec un tapis noir symbolisant le podium menant au trône rose et doré, très kitsch, inspiré d’un monde imaginaire comme « Alice aux Pays des Merveilles ».
Ici, en quelque sorte, le spectateur parcourt le monde imaginaire du créateur qui est resté un « grand enfant », monde largement inspiré par les cartoons, des icônes du cinéma et de la chanson qui ont marqué l’histoire de la mode et de l’art. Le spectateur poursuit son parcours dans la « discothèque du créateur » puisqu’une bande son se fait à nouveau entendre en fond sonore, sous des boules disco à facettes lumineuses qui ont été suspendues sur le plafond de la Grande galerie.
On pourrait se poser la question suivante : pourquoi avoir utilisé un trône comme élément de décor principal dans cette grande galerie ? Je pense que c’est une manière pour Jean-Charles de Castelbajac de s’affirmer en tant que créateur original, parfois excentrique mais novateur, tout en montrant sa place dominante dans le milieu de la mode. Le spectateur déambule donc dans cette salle jusqu’à la figure imposante du créateur symbolisé à travers le trône, cet objet démesuré du décor sur lequel le visiteur a la possibilité de s’asseoir. La participation du spectateur à travers le jeu fait partie intégrante de la scénographie. Les vêtements du créateur amusent. Or, l’environnement selon le créateur est intimement lié à ce qui est figuré mais aussi à ce qui relève de l’abstrait, c’est-à-dire à nos émotions et à d’autres sensations du même type. C’est pourquoi, si l’idée suggérée est celle de l’amusement, l’espace doit y répondre.
Pour ce qui est de la présence du trône, objet fard de la Grande galerie, l’explication peut provenir d’un thème cher au créateur : celui du confort, de la protection. Depuis son plus jeune âge, le créateur aurait eu un attachement pour toutes les matières chaudes et confortables. L’histoire raconte que cela proviendrait de la couverture qui était installée sur son lit de pensionnaire ; d’où un emploi fréquent dans ses collections depuis 1967 des couvertures, pour les manteaux. Mais en ce qui concerne le trône, le créateur a peut-être tout simplement voulu mettre à l’aise le spectateur, en lui permettant d’admirer confortablement ses collections d’un point de vue exceptionnel, surélevé et à la fois protégé, puisque celui qui trône est en quelque sorte intouchable.
- Quatrième salle
Elle s’organise différemment. Rectangulaire, elle symbolise le final du défilé avec une plate-forme noire rectangulaire surélevée en son centre, d’où un podium longitudinal accessible par des escaliers de chaque côté, permet de circuler librement tout en ayant une vue globale des collections. De part et d’autre des murs latéraux de la salle opposés à la sortie de l’exposition, des structures métalliques à quatre étages présentent les collections contemporaines du créateur dès les années 70, jusqu’à nos jours.
Cette structure métallique employée comme échafaudage-présentoir est communément utilisée pour le montage des décors dans le milieu de l’évènementiel, notamment pour fixer les lumières.
Jean-Charles de Castelbajac a peut-être aussi voulu rendre hommage à une autre figure emblématique de la mode : Jean-Paul Gaultier, qui pour son défilé de Prêt-à-porter Automne-Hiver 2004, 2005 avait utilisé la même structure sur son défilé hommage : Le Théâtre de la Mode, pour faire déambuler ses vrais et faux mannequins de cire.
Le système de lecture des pièces présentées s’établit généralement en longueur et de gauche à droite dans une scénographie classique d’exposition. Cela a été le cas pour le Cabinet de Curiosités (Salle 2) et la Grande galerie (Salle 3), excepté avec Rubik’s où le spectateur tourne autour de l’œuvre. Avec cette dernière salle, la lecture s’effectue de bas en haut au niveau des collections installées sur les échafaudages, avec une lumière stratégiquement installée à chaque étage et au niveau du podium, présentant ses Luminaires Tot’aime.
Les collections sont présentées comme une compilation musicale et colorée, avec des sons hip-hop et électro-rock en fond sonore, comme dans les trois autres salles. Les bandes sons inspirées des années 80 varient en fonction des œuvres présentées. Mais ce qui est particulier, c’est le fait que la bande son a spécialement été réalisée pour l’évènement (compositeur : Kingju).
Tout objet présent dans cette quatrième salle relève de l’ordre du symbole, notamment sa Boîte à secrets composée d’une photographie de sa grand-mère et de quelques jouets en plastique lorsqu’il était enfant.
Pour conclure, la scénographie est mesurée mais parfaitement réussie. Elle illustre l’engagement du créateur pour des propositions visuelles et vestimentaires novatrices, en accord avec notre époque. Il ne cherche pas à provoquer, mais étonner le visiteur. En ce qui me concerne, la surprise fut totale !!
Le spectateur assiste à un spectacle coloré et texturé présentant un historique des créations du maître de la tendance pop comme le qualifient ses contemporains, de l’assemblage, de la déconstruction, de l’utile, de la récupération et du détournement, propositions textiles et visuelles présentées sur une tonalité historique burlesque. Si vous appréciez la mise en scène, l’humour comme la Robe Voodoo Child, sur Jimmy Hendrix recouverte de mohair pour illustrer les cheveux du musicien ou ses fameux Manteau Teddy Bears et Veste l’Arche de Noé (Défilé de Prêt-à-porter Automne-Hiver 1988-1989) et les mises en scène de ses défilés, vous aimerez forcément les autres collections originales du créateur présentant son univers emprunt d’histoire, d’imaginaire, de ludisme et d’humour. Je vous invite à aller voir cette exposition qui pourrait vous surprendre…
Exposition du 7 Avril au 29 Juillet 2007, au Palais Galliera, métro Iéna, Paris.
Pour plus d’informations, consultez les liens ci-dessous :
- Site Internet de la Maison de Haute couture
- Articles intéressants sur le défilé et sur d’autres défilés
http://www.leparisien.fr/paris/jean-charles-au-pays-de-castelbajac-10-04-2007-2007929155.php